Principales Mycotoxicoses observées chez les Ruminants

P. GUERRE

Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, Département des Sciences Biologiques et Fonctionnelles, Pharmacie Toxicologie, 23 Ch. des Capelles, 31076 Toulouse Cedex, France

 

Mots clés: bovins, ovins, caprins, ruminants, mycotoxines, mycotoxicoses, moisissures, aliments, contaminants fongiques.

 

Plan

Introduction

1- Etude épidémio-clinique

1.1-           Mycotoxicoses liées à la consommation de pailles et fourrages

1.2-           Mycotoxicoses liées à l'ingestion de céréales

1.3-           Mycotoxicoses liées à l'ingestion d'autres types d'aliments

2- Diagnostic

3- Traitement et prophylaxie

Conclusion

Bibliographie

Tableau 1 : Les mycotoxicoses bovines

 

Introduction

Les moisissures sont des champignons microscopiques (micromycètes), hétérotrophes, dépendants des substrats organiques sur lesquels elles se développent pour leur nutrition carbonée. Bien que les conséquences d'un développement fongique dans les aliments soient multiples, trois types de problèmes peuvent être différenciés :

1)- l'altération des qualités organoleptiques et nutritives conduisant à une diminution des performances (production lactée, gain de poids …),

2)- l'apparition d'affections variées liées à la présence de certaines souches fongiques (mycoses, allergies …),

3)- des intoxications aiguës ou chroniques liées à la synthèse de toxines (mycotoxines) par certaines espèces fongiques, les mycotoxicoses.

L'essentiel de cette présentation concerne les mycotoxicoses chez les ruminants, les autres aspects n'étant que ponctuellement évoqués. Le diagnostic de ces affections nécessite de bien comprendre les facteurs qui déterminent la croissance des espèces fongiques et les conditions dans lesquelles s'effectue la toxinogenèse (cf. ici).

L'étude détaillée de chaque mycotoxine et de ses effets chez les ruminants étant difficile à réaliser ici, nous nous limiterons à la présentation de données générales utiles à leur diagnostic. Le tableau 1 regroupe les données essentielles nécessaires à la suspicion de ces affections et la mise en œuvre d'un diagnostic expérimental de confirmation. Des ouvrages de référence peuvent être consultés pour compléter les informations fournies [13, 14]. Les principales mycotoxicoses observées en France ayant fait l'objet d'une revue récente [15], nous préciserons au vu de ces données quelles sont les intoxications à redouter dans notre pays, et qu'elles sont celles qui peuvent être considérées comme exceptionnelles.

 

1- Etude épidémio-clinique :

On peut distinguer les mycotoxicoses observées lors de la consommation de fourrages, de céréales (et oléagineux, protéagineux), ou d'autres types d'aliments (ensilages, pulpes de betteraves, pommes de terre). Les jeunes sont en général plus sensibles que les adultes et plus exposés aux mycotoxines présentes dans les céréales qu'à celles présentes dans les fourrages.

 

1.1- Mycotoxicoses liées à la consommation de pailles et fourrages :

Certaines sont observées au champ, d'autres à l'étable, d'autres au champ ou à l'étable.

* La plus connue des mycotoxicoses observées au pâturage est sans conteste l'eczéma facial, lié à la consommation de sporidesmines synthétisées par Pithomyces chartarum, principalement sur les pâtures de ray-grass [16]. Cette affection est régulièrement diagnostiquée en France au Pays Basque, principalement chez les ovins.

Une autre mycotoxicose semble en émergence sur le territoire: la "fescue foot disease". Elle est liée à la consommation de toxines produites par des moisissures du genre Acremonium se développant sur des fétuques, entraînant des gangrènes et des nécroses des extrémités [4, et cas clinique dans ce numéro].

Ces deux mycotoxicoses sont inféodées à une région ou à une espèce botanique, ce qui souligne l'importance des interactions hôte-moisissure (Acremonium coenophialum est un parasite endophyte de Festuca arundinacea). Ces éléments épidémiologiques doivent être pris en compte dans la suspicion de ces mycotoxicoses. Ils permettent également d'espérer une possible éradication de ces affections par des mesures simples : labour des vieilles pâtures dans le pays basque, sélection de variétés de fétuques indemnes de contamination.

D'autres mycotoxicoses, plus rares, peuvent également être observées sur des pâtures de graminées. L'ergotisme peut être lié à la consommation de seigle ergoté, rare chez les ruminants, ou à la consommation de fourrages à maturité contaminés par Claviceps purpurea ou C. paspali [17 et cas clinique dans ce numéro]. Ces affections sont à rapprocher de la "fescue foot disease" précédemment décrite et de la "rye-grass stagger disease" liée à la contamination de Lolium perenne contaminé par Acremonium lolii [4]. Toutes les mycotoxines produites par ces moisissures agissent de façon similaire aux alcaloïdes de l'ergot : certaines ont une action vasoconstrictrice et entraînent des nécroses des extrémités, d'autres ont une toxicité nerveuse qui se manifeste par des tremblements ou des convulsions.

Une dernière affection observable au pâturage est la myrothéciose. Cette affection, non décrite en France, se caractérise dans sa forme aiguë par une gastroentérite hémorragique accompagnée d'une nécrose de la paroi digestive et d'une dégénérescence hépatique. Elle serait liée à la consommation de ray-grass parasité par des moisissures du genre Myrothecium, les mycotoxines en cause demeurant inconnues. Signalons toutefois que ces moisissures sont très souvent identifiées sur les pâtures sans qu'aucun trouble soit observé.

* La principale mycotoxicose observée à l'étable est la stachybotryotoxicose. Cette affection fait suite à la consommation de foins et surtout de pailles contaminées par Stachybothrys atra. Un contact répété avec ces aliments peut également entraîner des troubles. Les mycotoxines synthétisées appartiennent à la famille des tricothécènes macrocycliques, doués de propriétés dermonécrosantes et leucotoxiques. Des formes aiguës avec gastro-entérite hémorragique ou des formes chroniques avec leucopénie ont été décrites, principalement dans les pays de l'Est. Les principaux cas diagnostiqués en France ont été observés chez les chevaux [18], qui sont plus sensibles que les ruminants [13, 14]. Signalons qu'il convient d'être particulièrement prudent dans le diagnostic de cette affection (cf. chap. 2.2). En effet, la présence de signes cliniques et lésionnels compatibles, ainsi que la mise en évidence de S. atra ne sont pas suffisants pour poser un diagnostic de certitude. Il est aujourd'hui bien établi que toutes les souches de S. atra ne sont pas toxinogènes [19]. La recherche des tricothécènes macrocycliques étant impossible à réaliser à l'heure actuelle en routine, la confirmation de l'intoxication passera par l'étude de la dermotoxicité sur des rongeurs de laboratoire d'extraits organiques des aliments suspects.

* D'autres mycotoxicoses peuvent survenir au pâturage ou à l'étable. Des troubles de la reproduction sont observés en France suite à la consommation de légumineuses (trèfles et luzernes, surtout Trifolium subterraneum) contaminées par Pseudopeziza medicaginis ou Leptosphaerulina briosiana [15]. Les jeunes animaux sont les plus sensibles, les signes observés (diminution de la fertilité) sont liés à la présence de phytoestrogènes synthétisées par la légumineuse en réponse à l'agression fongique (Fig. 1). Le coumestrol est la principale mycotoxine en cause. Ce composé étant très stable, l'intoxication peut être observée au pâturage ou à l'étable lors de la distribution de foins ou même de granulés.

La sialorrhée des ruminants est une mycotoxicose rare, également liée à l'ingestion de légumineuses, surtout Trifolium incarnatum, contaminées par des moisissures, Rhizoctomia leguminicola. Les troubles observés, sialorrhée, conjonctivite, diarrhée sont liés à l'action parasympathomimétique de la mycotoxine en cause: la slaframine [20].

La lupinose est également liée à la consommation de légumineuses moisies, mais cette fois appartenant à la famille des lupins. L'intoxication est liée à la consommation des tiges et des gousses, directement au pâturage ou après distribution aux animaux. La phomopsine, synthétisée par Phomopsis leptostromiformis, est douée de propriétés cholestatiques responsables d'une hépatotoxicité avec ictère et photosensibilisation secondaire possible [21].

Des syndromes hémorragiques ont été décrits chez les ruminants suite à la consommation de mélilot, de flouve odorante, de férule commune, conservés dans de mauvaises conditions. Dans tous les cas, il semblerait que le toxique en cause soit le dicoumarol, obtenu à partir de l'acide o-coumarinique présent dans la plante (Fig. 1) [2]. Ce composé est responsable d'une action anticoagulante du fait de son analogie structurale avec la vitamine K. Cette affection ne semble pas diagnostiquée en France.

La "Diplodia toxicose" peut être observée sur des animaux pâturant des champs de maïs, ou consommant des plants de maïs, contaminés par Diplodia maydis [22]. La mycotoxine en cause reste inconnue, les signes observés sont diversifiés (digestifs, nerveux et respiratoires), mais cette affection ne semble pas décrite en France.

 

1.2- Mycotoxicoses liées à l'ingestion de céréales:

Même si les ruminants sont naturellement sensibles aux mycotoxines présentes dans les céréales, oléagineux et protéagineux les intoxications spontanées de ces espèces par ce type d'aliment sont rares en France. Trois raisons principales en sont à l'origine:

1er) les mycotoxines les plus dangereuses, les aflatoxines par exemple, ne sont pas produites en grandes quantités sous nos climats [10, 11],

2ème) les ruminants sont peu sensibles aux mycotoxines produites en France, les fumonisines par exemple [23],

3ème) les ruminants consomment très rarement l'aliment en cause (blé/trichothécènes, seigle/alcaloïdes de l'ergot).

Toutefois des intoxications liées à l'importation d'aliments contaminés sont toujours possibles, bien que des normes strictes définissent les teneurs maximales tolérées dans les aliments [24].

* Les aflatoxines sont les plus connues et les plus toxiques des mycotoxines. Elles peuvent être identifiées dans presque toutes les céréales, l'arachide, le coton, … . Ces composés sont des hépatotoxiques et des hépatocarcinogènes puissants, synthétisés par des moisissures du genre Aspergillus, principalement A. flavus et A. parasiticus, pendant la période de stockage des aliments, dans des conditions chaudes et humides [25]. Une confusion est souvent faite entre aflatoxicose et aspergillose. L'aflatoxicose fait suite à l'ingestion d'aflatoxines formées dans les aliments par des Aspergillus. Elle ne doit pas être redoutée chez les ruminants nourris avec des aliments produits en France, et des normes limitent les teneurs en aflatoxines autorisées dans les aliments à l'importation. L'aspergillose est une mycose liée à la multiplication d'Aspergillus pathogènes chez un animal, c'est une maladie infectieuse qui existe en France.

* Les ochratoxines et la citrinine sont des mycotoxines néphrotoxiques produites dans les céréales par Aspergillus ochraceus et Penicillium viridicatum. Cette affection n'est pas à redouter sous nos climats, les ruminants sont en effet beaucoup moins sensibles que les porcs et les volailles [26], chez lesquels cette mycotoxicose n'est pas diagnostiquée en France.

* Des trichothécènes (déoxynivalénol, nivalénol, diacétoxyscirpénol, toxine T2, …) peuvent être synthétisés par différentes moisissures du genre Fusarium (F. graminearum, F. sporotrichioides, F. culmorum) dans un grand nombre de céréales (orge, maïs, blé, …) au cours de printemps froids et humides. Ces composés sont dermotoxiques, émétisants et immunosuppresseurs. Ils sont responsables d'un syndrome émétisant chez le porc (le déoxynivalénol est ainsi connu sous le nom de vomitoxine) et d'aleucie toxique alimentaire dans un grand nombre d'espèces, y compris les ruminants. En France, bien que 20% des souches de Fusarium isolées soient toxinogènes au laboratoire [11], aucune mycotoxicose clinique ne semble rapportée. Le fort pouvoir hématotoxique et immunotoxique de ces composés laisse toutefois supposer qu'une ingestion répétée de céréales contaminées peut favoriser l'émergence ultérieure d'infections, sans qu'il soit possible de quantifier le problème [27, 28].

* La zéaralénone est une mycotoxine appartenant également à la famille des trichothécènes, mais douée de propriétés estrogéniques. Elle peut être synthétisée par Fusarium graminearum et F. culmorum dans les céréales (surtout le maïs) pendant la phase de croissance du plant (temps froid et humide) ou pendant la phase de stockage. Son action est similaire à celle de l'estradiol, et ses effets chez l'animal sont dominés par des troubles génitaux : oedèmes et hypertrophie des organes génitaux chez les femelles prépubères, féminisation des jeunes mâles, infertilité et morbinatalité. Bien qu'un grand nombre de souches de Fusarium isolées dans le sud-ouest soient toxinogène au laboratoire, les quantités de zéaralénone produites dans les conditions naturelles sont faibles, et probablement insuffisantes pour entraîner des troubles chez les ruminants [11, 29]. Cette affection n'est pas à redouter chez les ruminants en France, ces espèces étant beaucoup moins sensibles que les porcs à la toxicité de la zéaralénone, et aucun cas ne semble rapporté chez ces derniers dans notre pays.

 

1.3- Mycotoxicoses liées à l'ingestion d'autres types d'aliments:

Ensilages, pomme de terre, et pulpes de betterave moisis peuvent être distribués aux ruminants et suspectés d'être à l'origine de mycotoxicoses.

* Les ensilages, s'ils sont mal conservés, sont très souvent largement contaminés par des moisissures. Fort heureusement, les risques mycotoxiques sont faibles avec ce type d'aliment. Les principales mycotoxines pouvant être identifiées sont la zéaralénone (cf. chap. 2.1.2) et la patuline.

La patuline est une mycotoxine pouvant être synthétisée par différents types de moisissures (Aspergillus clavatus, Penicillium cyclopium, Byssochlamys nivea, …) dans les ensilages et les céréales germées. Ce composé est doué de propriétés thioloprives (affinité pour les groupements thiols : –SH), ce qui explique sa capacité à inhiber un grand nombre de protéines, enzymes et fonctions cellulaires. Bien que des cas d'intoxications aient été suspectés chez les bovins en 1976, la toxinogenèse semble peu importante dans les conditions naturelles et insuffisante pour expliquer à elle seule les troubles observés [30].

* Les pommes de terres conservées dans de mauvaises conditions peuvent synthétiser, quand elles sont contaminées par Fusarium solani, du 4-ipoméanol et d'autres phytotoxines (Fig. 1). Le 4-ipoméanol ingéré par les ruminants est alors biotransformé en métabolites réactifs dans les cellules de Clara par intervention de cytochromes P450 très exprimées dans ce type cellulaire (les cellules de Clara sont localisées dans les bronchioles, il y a donc formation des métabolites toxiques directement dans le poumon). Ces composés sont à l'origine d'une inflammation et d'un œdème aigu du poumon avec dyspnée, tirage costal, augmentation de la fréquence respiratoire et cardiaque [4]. Cette mycotoxicose ne semble pas diagnostiquée en France, sans doute car il n'entre pas dans nos pratiques d'élevage l'habitude de distribuer des pommes de terre moisies aux bovins !

* Les pulpes de betteraves, mélasses et autres sous-produits sont fréquemment administrés aux ruminants et parfois incriminés dans des affections variées [30]. Les betteraves ne sont pas réputées contenir de mycotoxines au moment de la récolte, et les techniques mises en œuvre pour l'extraction du sucre (cuisson à des températures supérieures à 72 °C) fournissent des sous-produits quasiment stérilisés (en ce qui concerne les contaminants fongiques). Néanmoins, si ces produits sont mélangés à de la terre (radicelles de betteraves, ensilages tassés avec des tracteurs aux roues boueuses …) une contamination fongique est possible. A l'heure actuelle, bien que des moisissures potentiellement toxinogènes aient été identifiées (Penicillium roqueforti, Aspergillus fumigatus, Trichoderma viride), aucune mycotoxine n'a été impliquée dans les troubles observés.

 

2- Diagnostic (cf. ici):

Toutes les affections liées à la consommation de denrées moisies ne sont certainement pas connues. Il suffit pour s'en persuader de rappeler que la dernière famille de mycotoxine découverte, les fumonisines, l'a été en 1988. La mise en évidence et le diagnostic des mycotoxicoses sont rendus difficiles par le nombre potentiel de mycotoxines, les difficultés d'identification et de dosage de ces composés, et l'hétérogénéité des prélèvements. Un diagnostic de certitude ne pourra être établi que si les trois éléments suivants sont réunis:

-         troubles cliniques et lésionnels évocateurs en l'absence d'autre explication,

-         mise en évidence de la mycotoxine (analytique ou test biologique),

-         quantités de mycotoxines ingérées compatibles avec les doses toxiques.

L'absence d'autres affections explicatives des troubles observés ne pose en général pas de problèmes, les mycotoxicoses n'étant le plus souvent suspectées et recherchées qu'après élimination de toutes les autres hypothèses. Une demande d'examen mycologique et mycotoxicologique doit toutefois toujours être réfléchi car long, parfois onéreux (environ 500 FF pour un dénombrement et une identification des moisissures, de 500 à plus de 1 000 FF pour une identification et un dosage de chaque mycotoxine). Il est en revanche indispensable. Signalons que de nombreux cas de suspicion de mycotoxicoses rapportées aux Centres Anti-Poisons Animaux sont souvent inexploitables par manque d'information sur la présence réelle des mycotoxines suspectées dans les aliments. A ce titre, le centre de Toulouse propose, en collaboration avec des agronomes de l'INRA, une aide gratuite pour l'interprétation des résultats d'examen mycologique et mycotoxicologique. Il peut même dans certains cas (documentation clinique complète) prendre à sa charge ces analyses dans le cadre de ses activités de surveillance des accidents mycotoxicologiques en élevages.

La mise en évidence de la mycotoxine est un donc élément très important du diagnostic. Rappelons pour s’en persuader que des spores de moisissures potentiellement toxinogènes sont naturellement présentes dans l'environnement, que la phase de croissance des moisissures n'est pas toujours associée à une phase de toxinogenèse, et que toutes les souches fongiques d'une même espèce n'ont pas le même pouvoir toxinogène (pour plus de détails cf. ici). En l'absence de techniques analytiques fiables, on peut avoir recours à des tests biologiques, tels que les tests de dermotoxicité utilisés pour la mise en évidence des trichothécènes dermonécrosants.

Enfin, l'estimation de la quantité de mycotoxine ingérée et la comparaison avec les doses réputées toxiques, quand elles sont disponibles, est un exercice difficile mais nécessaire, surtout dans le contexte souvent litigieux de suspicion des mycotoxicoses (problèmes de responsabilité du fournisseur d'aliment). La mise en évidence d'une mycotoxine dans un aliment n'est pas synonyme d'un diagnostic de mycotoxicose chez les animaux ayant ingérés cet aliment. Un grand nombre de mycotoxines peut être identifié sans que ne soient nécessairement associés des signes cliniques chez l'animal. Citons pour exemple la fréquence des prélèvements de céréales, y compris les ensilages, "positifs" en zéaralénone, trichothécènes, patuline, alors que ces affections sont très rares chez les ruminants [6, 11, 13, 14, 15, 24, 30, 31]. Cette démarche pose le problème de l'échantillonnage des prélèvements. On peut en effet estimer qu'il y a de fortes probabilités de détecter une moisissure potentiellement toxinogène dans un aliment suspect, alors qu'il est tout à fait possible de ne pas détecter de mycotoxines dans la zone prélevée, ou de réaliser une erreur sur l'estimation des quantités ingérées par les animaux exposés. Les stratégies d'échantillonnage font l'objet de nombreuses publications et sont difficiles à résumer en quelques lignes [32]. Si les prélèvements à effectuer en vue de la détermination du niveau de contamination moyen d'une cargaison à l'importation ou même d'un silo de céréalier sont assez bien codifiées [33], ces protocoles sont très difficilement applicables dans les conditions de terrain, et pas forcément utiles dans le diagnostic d'un accident mycotoxique en élevage (contaminations parfois très localisées). Elles sont par ailleurs inapplicables pour tous les problèmes survenant suite à la consommation d'herbe, fourrages ou pailles moisies. On retiendra donc qu'il y a toujours intérêt à effectuer des prélèvements assez conséquents (au moins 1 kg) et nombreux (une dizaine pour un silo, un ensilage, des balles de foin ou paille suspectes), quitte à ne pas tous les analyser. La connaissance des facteurs généraux impliqués dans la croissance des moisissures permettant de sélectionner la nature ou les zones de prélèvement à risque.

Enfin, on ne peut clore ce chapitre sans évoquer la difficulté d'estimation du risque posé par l'ingestion répétée de mycotoxines dont un grand nombre est réputé immunotoxique et de ce fait susceptible d'augmenter les accidents de type infectieux en élevage [26]. Seules des études au niveau national et international le permettent, plans d'épidémiosurveillance, ce problème devant être pris en compte dans une approche globale de l'amélioration de la qualité de l'alimentation animale.

 

3- Traitement et prophylaxie:

En dehors des syndromes hémorragiques liés à l'ingestion de dicoumarol, pour lesquels on dispose d'un antidote, la vitamine K1, le traitement des mycotoxicoses est purement symptomatique et bien sûr associé au retrait de l'aliment en cause.

La prophylaxie de ces affections est essentielle, et de nombreuses mycotoxicoses ne devraient pas exister dans les élevage de haute technicité. La phase de toxinogenèse est toujours associée à une phase de croissance de la moisissure, souvent favorisée par des erreurs dans la pratique de récolte ou de conservation des aliments. Signalons que la distribution d'un aliment connu comme étant moisi est souvent en cause dans les affections diagnostiquées en France. En effet, la croissance de moisissures toxinogènes suit en général la multiplication de moisissures non toxinogènes, et des altérations macroscopiques et organoleptiques des aliments sont très souvent observées (couleur, odeur). La prophylaxie des affections survenant au champ passe par une meilleure gestion des prairies (éviter le sur-pâturage), un labour des pâtures connues comme étant contaminées et la sélection de variétés fourragères indemnes.

 

Conclusions

Les ruminants sont sensibles à un grand nombre de mycotoxines. La connaissance des facteurs généraux impliqués dans la croissance des moisissures, ainsi que la nature des principales mycotoxicoses observées en France sont des éléments essentiels à prendre en compte pour toute suspicion de ces affections. Le diagnostic de certitude passe par la mise en évidence de souches fongiques potentiellement toxinogènes dans les aliments suspects et, quand cela est possible, par la recherche des mycotoxines en cause.

 

Bibliographie

1-     STEYN PS. The biogenesis of mycotoxins. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 469-478.

2-     KOSUGE T, GILCHRIST D. Chemistry of coumarin and related compunds. In: Mycotoxic fungi, Mycotoxins, Mycotoxicosis - Vol.1: Mycotoxic fungy and chemistry of mycotoxins. WYLLIE TD, MOREHOUSE LG (Eds). Marcel Dekker Inc. New York, 1977: 239-282.

3-     PRICE KR, FENWICK GR. Naturally occuring oestrogens in food – a review. Food Addit. Conta., 1985; 2: 73-106.

4-     PORTER JK. Analysis of endophyte toxins: fescue and other grasses toxic to livestock. J. Anim. Sci., 1995; 73: 871-880.

5-     DOSTER AR, MITCHELL FE, FARREL RL. Effects of 4-ipomeanol, a product from mold-damaged sweet potatoes, on the bovine lung. Vet. Path., 1978; 15: 367-375.

6-     PITTET A. Natural occurrence of mycotoxins in foods and feeds. An update review. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 479-492.

7-     GORMAN DP, KANG MS. Preharvest aflatoxin contamination in maïze: resistance and genetics. Plant Breeding, 1991; 107: 1-10.

8-     CHRISTENSEN CM. Storage of cereal grains and their products, 2nd Ed. American Association of Cereal Chemist. St Paul, Minnesota. 1974.

9-     MOREAU C. Moisissures toxiques dans l'alimentation. Masson (Eds). Paris, 1974.

10- PAYNE GA. Aflatoxin in maize. Crit. Rev. Plant Sci., 1992; 10; 423-440.

11- DUPUY J. Principales mycotoxines produites par des souches de Fusarium isolées des céréales. Thèse INP. Toulouse, France. 1994.

12- SCOTT PM. Industrial and farm detoxication processes for mycotoxins. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 543-548.

13- Mycotoxic fungi, Mycotoxins, Mycotoxicosis - Vol.2: Mycotoxicoses of domestic and laboratory animals, poultry, and aquatic invertebrates and vertebrates. WYLLIE TD, MOREHOUSE LG (Eds). Marcel Dekker Inc. New York, 1978.

14- Mycotoxicology: introduction to the mycology, plant pathology, chemistry, toxicology, and pathology of naturally occuring mycotoxicoses in animals and man. MARASAS WFO, NELSON PE (Eds). Pennsylvania State University Press. University Park and London, USA, 1987.

15- LE BARS J, LE BARS P. Recent acute and subacute mycotoxicoses recognized in France. Vet. Res., 1996; 27: 383-394.

16- BEZILLE P, BRAUN JP, LE BARS J. Première identification de l'éczéma facial chez les ovins en Europe. Aspects épidémiologiques, cliniques et biologiques. Rec. Méd. Vét., 1984; 160: 339-347.

17- BOTHA CJ, KELLERMAN TS, FOURIE N. A tremorgenic mycotoxicosis in cattle caused by Paspalum distichum (L.) infected by Claviceps paspali. Jl S. Afr. Vet. Ass., 1996; 67: 36-37.

18- SERVANTIE J., LE BARS J., BONNEFOI M. Stachybotryotoxicose équine: première description en France. Rev. Méd. Vét., 1985; 136: 687-692.

19- LE BARS J, LE BARS P. Toxicogenesis and development conditions of Stachybotrys atra in France. Acta Vet. Scand., 1991; supp: 349-351.

20- CROOM WJ, HAGLER WM, FROETSCHEL MA, JOHNSON AD. The involvement of slaframine and swainsonine in slobbers syndrome: a review. J. Anim. Sci., 1995; 73: 1499-1508.

21- RODRIGUEZ FS, SANTIYAN MPM, ZAMORANO JDP, CORDERO VR. An outbreak of lupinosis in sheep. Vet. Hum. Toxicol., 1991; 33: 492-494.

22- KELLERMAN TS, RABIE CJ, VAN DER WESTHUIZEN GC, KRIEK NP, PROZESKY L. Induction of diplodiosis, a neuromycotoxicosis, in domestic ruminants with cultures of indigenous and exotic isolates of Diplodia maydis. Onderstepoort J. Vet. Res., 1985; 52: 35-42.

23- THIBAULT N, BURGAT V, GUERRE P. Les fumonisines: nature origine et toxicité. Rev. Méd. Vét., 1997; 148: 369-388.

24- BOUTRIF E, CANET C. Mycotoxin prevention and control: FAO programmes. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 681-694.

25- GUERRE P, GALTIER P, BURGAT V. Les aflatoxicoses chez l'animal: des manifestations cliniques aux mécanismes d'action. Rev. Méd. Vét., 1996; 147: 497-518.

26- RIBELIN WE, FUJUSHIMA K, STILL PE. The toxicity of ochratoxin to ruminants. Can. J. Comp. Med., 1978; 42: 172-176.

27- PARENT-MASSIN D, PARCHMENT RE. Haematotoxicity of mycotoxins. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 591-598.

28- OSWALD I, COMERA C. Immunotoxicity of mycotoxins. Rev. Méd. Vét., 1998; 149: 585-590.

29- SMITH JF, DI MENNA ME, MCGOWAN LT. Reproductive performance of coopworth ewes following oral doses of zearalenone before and after mating. J. Reprod. Fertil., 1990; 89: 99-106.

30- LE BARS J, LE BARS P. Espèces fongiques des ensilages de maïs: risques mycotoxiques. Rec. Méd. Vét., 1989; 165: 433-439.

31- Mycotoxins in human nutrition and health. DG XII: Science, Research and Development. European Commission Studies. 1994.

32- Manuals of food quality control. 9. Introduction to food sampling. FAO. Rome, Italy. 1988.

33- Céréales et produits céréaliers. Contrôle de la qualité des produits alimentaires. Conservation et stockage des grains. AFNOR Catalogue. Paris, France,1997.


 

Tableau 1: Les mycotoxicoses bovines

 

Mycotoxicose

Mycotoxines

Moisissures *

Plantes ou aliments

Croissance et toxinogenèse

Mécanisme d'action

Signes cliniques **

Mycotoxicoses liées à la consommation d'herbes, fourrages et pailles

 

 

 

 

 

Eczéma facial

Sporidesmines

Pithomyces chartarum

Ray grass (base du plan),

prairies anciennes

Automne humide

Pays Basque

Hépatotoxique (cholangite oblitérante)

Ictère, insuffisance hépatique

Photosensibilisation

Fescue foot disease

Lolitrem, Ergovaline

Acremonium coenophialum

Festuca arundinacea

Endophyte

Printemps et été sec

Vasoconstricteur

Nécrose des extrémités

Pertes économiques

Rye grass stagger disease

Acremonium lolii

Lolium perenne

Endophyte

 

Neurotoxique

Démarche chancelante

Convulsions

Ergotisme

Alcaloides

Claviceps purpurea

C. paspali

Seigle, Graminées

(graines)

Printemps

Vasoconstricteur

Neurotoxique

Nécrose des extrémités

Démarche chancelante

Myrothéciose

Myrothecium

Ray grass

?

?

Digestifs et hépatiques

Stachybotryo-

toxicose

Trichothécènes

Stachybotrys atra

Paille

Fourrages

Stockage froid et humide

Dermonécrosant

Hématotoxique

Gastroentérite hémorragique

Leucopénie

Trifoliose

Coumestrol

Pseudopeziza medicaginis

Leptosphaerulina

briosiana

Légumineuses en vert ou fourrages

Automne

Oestrogènique

Troubles de la reproduction

Scialorrhée des ruminants Slaframine

Rhizoctomia leguminicola

Légumineuses

Automne,

sur-pâturage

Parasympatico-

mimétique

Sialorrhée

Diarrhée

Maladie du mélilot gâté Dicoumarol

Nombreuses

Mélilot, flouve odorante, férule

Stockage humide

Anticoagulant

Hémorragies

Antidote Vitamine K1

Diplodiose

Diplodia maydis

Epis de maïs

Automne

Inconnu

Troubles digestifs, nerveux, respiratoires

Mycotoxicoses liées à la consommation de céréales, oléagineux, protéagineux

 

 

 

 

 

Aflatoxicose

Aflatoxines

A. flavus

A. fumigatus

Céreales, riz, arachide, sorgho

Stockage chaud et humide (Tropiques)

Hépatotoxique

Nécrose hépatique

Hépatocarcinogène

Ochratoxicose

Ochratoxines

A. ochraceus

P. viridicatum

Céréales

Stockage foid et humide (Balkans)

Néphrotoxique

Insuffisance rénale

Fibrose intersticielle

Trichothécioses

Trichothécènes

F. graminearum, F. sporotrichoïdes, F. culmorum

Céréales

(Foins, pailles)

Climats froids et humides

(gels et dégels)

Dermotoxique

Hématotoxique

Gastroentérite hémorragique, immunosuppression

Zéaralénone

F. graminearum, F. culmorum

Céréales (maïs)

Climats tempérés

Oestrogénique

Troubles de la reproduction

Mycotoxicoses liées à la consommation d'autres aliments

 

 

 

 

 

Patuline

A. .clavatus, 

P. cyclopium, Byssochlamys nivea

Ensilages

(céréales germées)

Erreurs de conservation

Thioloprive

?

4-Ipoméanol

F.  solani

Pomme de terre

Erreurs de conservation

Pneumotoxique

Œdème pulmonaire

Fibrose

?

P. roqueforti,

A. fumigatus

Trichoderma viride

Pulpes de betterave et dérivés

Erreurs de conservation

?

Avortements

Troubles digestifs

Nécrose hépato-rénale

* : A. = Aspergillus, F. = Fusarium, P. = Penicillium

** : Des informations plus précises sont fournies dans le texte